Jean-Luc COATALEM

La part du fils

 Je suis en train de lire ce livre alors que la presse bruisse du 75ème anniversaire de la libération d'Auschwitz donnant une résonnance très particulière à cette quête de l'auteur sur les traces de son grand-père Paol qui en septembre 1943 a été arrêté par la gestapo et envoyé dans les camps dont il n'est pas revenu, un évènement familial dont personne ne parle, à commencer par le fils, Pierre, le père de l'auteur, car en Bretagne on ne parle pas du malheur.

Bribes par bribes au fil des découvertes dans les archives ou sur les lieux mêmes des internements successifs l'auteur retrace cette dernière période de la vie de Paol, c'est passionnant car tout à la fois une recherche intimiste et une évocation historique documentée sur le parcours de ces hommes envoyés comme du bétail dans les camps nazis. Tout un passage est consacré d'ailleurs au camp de Dora, acronyme pour Deutsche Organisation Reich Arbeit que l'auteur désigne comme "le pays des bourreaux ".  C'est une usine souterraine  qui  devait fournir douze mille missiles V2 pour inverser le cours de la guerre, et les prisonniers, dont Paol, vont fournir une main-d'oeuvre gratuite et corvéable à merci, des esclaves pour la machinerie nazie sous la houlette de Wernher von Braun qui deviendra citoyen américain en 1955 et qui avec ses équipes venues de l' Allemagne hitlérienne sera l'initiateur avec la fusée Saturne de la conquête spatiale. Les premiers pas de l'homme sur la lune ont été faits en partie sur les cadavres de ces milliers de prisonnier,  les nouveaux débarqués des trains remplaçants les morts à l'infini. Terrible et glaçant.

« N'en déplaise à von Braun et à son sourire triomphal, sa conquête des étoiles avait dû franchir d'abord la porte des enfers. Les prisonniers de Dora en firent les frais, Paol parmi eux. Comment l'oublier en regardant le ciel ? »

La construction du récit-roman est également intéressante car elle entrelace les chapitres relatifs à l'histoire de Paol et notamment sa participation à la guerre 14-18, puis sa vie à Saïgon avant de revenir en Bretagne, avec celle de Pierre, le père taiseux qui ne comprend pas la recherche de son fils et les efforts de l'auteur pour comprendre d'où vient cette lettre de dénonciation qui a provoqué l'arrestation de son grand-père.

C'est un texte fort et émouvant , à la fois intime et universel , mêlant fiction et faits réels, je cite, «  Et ce que je ne trouverai pas de la bouche des deniers témoins ou dans les registres des archives , je l'inventerai. Pour qu'il REVIVE » .

De plus c'est bien écrit et bien construit, un très beau  livre qu'on prend plaisir à savourer.

 

La part du fils - Jean-Luc Coatalem- Stock - août 2019 - 265 pages -19 euros