Une fable moderne, c'est ce que nous propose Sylvie Germain avec "A la table des hommes". Fable sur l'origine de l'homme avec des pages saisisssantes sur le devenir d'un porcelet seul rescapé de
la violence guerrière des hommes. Fable également sur l'enfant sauvage qui ressort de la forêt en ayant tout à apprendre de la condition humaine et notamment le langage qui permet la
communication. Rejetté et agressé par les autres enfants à cause de ses différences il lui faudra fuir celle qui l'a receuilli et appelé Babel et trouvera refuge chez des jumeaux
Clovis et Rufus qui l'acceptent sans se poser de questions et lui aprennent la vie. Babel ce "Drôle de garçon...qui se tient en lisière de l'enfance et de l'âge adulte, dans un
entre-deux qui n'est pas vraiment l'adolescence...Il y a chez lui un mélange de candeur et de gravité, de douceur et de robustesse...Il se tient de plain pied avec la vie, avec le monde, sans
leur demander de comptes, sans rien attendre de plus qu'il ne reçoit. Il entretient avec les bêtes une complicité tacite, et partage avec une corneille une amitié plus intime qu'avec
quiconque." C'est ce héros qu'une femme après l'amour va appeler Abel et que l'auteure va confronter à tous les "Caïn" du monde ceux qui tuent leurs frères. La fable plonge alors
dans cette réalité terrifiante où l'on supprime ceux qui expriment des avis et des conceptions différents. Mais lui l'homme simple "a reçu cette part de fraternité, des destructeurs la
lui ont arrachée, mais sous la douleur de ce rapt, il conserve la joie d'avoir un jour reçu cette part d'amour et d'amitié, et cette joie là, personne ne pourra la lui retirer."
Je suis sensible à l'écriture de Sylvie Germain, a son sens des mots, à ses capacités de mise en scène qui comme dans "Magnus" font alterner violence et douceur, désespérance et
espérance. Encore un bon livre.
(Toutefois j'ai lu aussi un autre ouvrage de Sylvie Germain "L'inaperçu" de 2008 et je n'ai pas vraiment apprécié cette histoire d'une famille qui m'a parue bien alambiquée)
A la table des hommes - Sylvie Germain - Albin Michel - 264p. - 2015 - 19,80€
Comment pouvoir se construire comme adulte lorsqu'on a été un jeune enfant allemand, victime collatérale de la guerre 39-45 et que l'on découvre que sa vie est bâtie comme un décor en trompe l'oeil où tout est faux?
Magnus c'est le nom de l'ours en peluche miteux et à l'oreille roussie, seul lien pour l'enfant devenu adolescent avec son passé et qui va lui servir de support pour raviver sa mémoire et nous
proposer une fugue à deux voix, celle de Magnus l'ourson et celle de Magnus, le jeune homme qui s'approprie ce prénom de Magnus à défaut de son véritable prénom que sa mémoire se refuse à
faire ressurgir. Il finit par comprendre peu à peu que ses parents Théa et Clemens, étaient des nazis enragés, que sont père était un médecin des camps de la mort exfiltré au Mexique. En
contrepoint son oncle le pasteur Lothar a été membre de la résistance au nazisme au travers de l'Eglise confessante d'Allemagne incarnée par le pasteur Dietrich
Boenhoffer qui va mourir exécuté. Cet oncle qui l'a receuilli à Londres, le pasteur Lothar, a fuit l'Allemagne pour l'Angleterre ayant épousé une non-aryenne et lui cache d'ailleurs un
lourd secret...Seule possibilité pour Magnus retrouver les traces de son père au Mexique, mais est-ce son père ? Dans sa quête il va grandir au fil des rencontres surtout féminines, May au
Mexique et aux Etats Unis, Peggy Bell à Londres et en Autriche et lorsqu'un chanteur fait affreusement et brutalement ressurgir son passé qui tel un boomerang vient l'anéantir, c'est en
France au milieu des prairies et des abeilles qu'il va faire table rase de ce lourd passé et faire surgir le Magnus nouveau. "Pour tout livre il emmène celui qui s'est ouvert en lui dans
un souffle de hautbois, et qui n'en finit plus de bruire dans son esprit, dans sa poitrine, dans sa bouche. Les pages du livre frémissent entre ses mains, s'effeuillent sous ses pieds.
S'en aller, chante tout bas le livre des merveilles et de l'insoupçonné, s'en aller...
S'en aller."
La construction du livre est intéressante avec sa succession de fragments qui font allusion aux souvenirs fragmentaires de Magnus entrecoupés de "notules" de "séquences" qui rappellent le lourd
poids de l'histoire, mais aussi un contrepoint poétique ou même philosophique et constituent une rupture stylistique. L'écriture de Sylvie Germain a du souffle mais aussi de la fluidité et
en magicienne des mots elle vous entraîne dans son univers où l'homme est à la fois terrifiant et vecteur d'espérance.
Un grand livre...
Magnus - Sylvie Germain - 302pages - Editions Albin Michel - 2005 - Existe en livre de Poche à 8,50 euros