Bernadette PECASSOU

Sous le toit du monde

Karan est un jeune homme qui vit en Europe depuis ses cinq ans. Il n'a donc que très peu de souvenirs du Népal, son pays d'origine. Pourtant, l'assassinat de la famille royale népalaise le 1er juin 2001 (le roi Birendra, son épouse la reine Aishwarya, et leurs héritiers directs) va réveiller en lui une véritable passion pour ce pays. Il quitte tout et part avec une idée bien précise en tête : participer à la construction du Népal en tant que nouvel état démocratique, ce qui sera fait en 2007.  Courageux et ambitieux, il compte ouvrir un journal et tout dévoiler à ses concitoyens, sans censure ni langue de bois.

Ashmi est une jeune fille tirée de la misère et de la pauvreté par une mission humanitaire. Grâce à cette dernière, elle a pu faire des études et aller à l'université. Son avenir est tout tracé. Elle doit devenir enseignante afin de dispenser à son tour le savoir aux enfants des montagnes et leur offrir ainsi l'espoir d'un meilleur avenir.

Karan. Ashmi. Deux personnes que tout oppose, que tout sépare. Et pourtant, ils vont se rencontrer. Karan veut faire d'Ashmi une journaliste, dans ce pays où la femme est dévalorisée, rabaissée, soumise à l'homme et où la "démocratisation" n'a pas aboli, loin sans faut le système des castes auquel l'un et l'autre sont confrontés. Un journal c'est pour Karan le moyen de faire avancer les choses et de changer cette société conservatrice. Ashmi, elle, voit dans cette opportunité un moyen de prendre son destin en main. Elle veut plus que ce à quoi elle est destinée. Son séjour à Katmandou lui a ouvert les yeux, elle sait désormais que dans d'autres pays, les femmes sont mieux considérées, plus libres. Il est très intéressant de voir son évolution tout au long du roman. Au début, c'est une jeune fille timide, soumise, vulnérable. Peu à peu, elle s'affirme, se découvre une force de caractère et une envie dévorante de justice. En effet à la suite de la mort de son père, puis celle de son frère Tej, tués par ces "ombres" qu'on ne retrouve jamais et d'ailleurs qu'on ne cherche pas, sa mère est dépouillée de tous ses biens par les frères de l'épouse de Tej puisqu'il n'y a plus d'homme à la maison et par voie de conséquence Ashmi est également dépouillée, elle deviendra donc journaliste pour écrire sur le droit des femmes.

Cette alliance entre Karan et Ashmi scellera leurs destins. En effet, le journalisme est une profession à haut risque dans ce nouvel état qui n'est démocratique que de nom. Liberté d'expression, liberté de presse, modernité… de bien jolis mots. La réalité est toute autre. Au Népal, la corruption est encore bien présente, le pouvoir est concentré entre quelques mains, les castes doivent être respectées, les médias subissent de lourdes pressions… et les journalistes qui osent s'élever contre l'ordre établi, qui osent dénoncer ce qui ne va pas, sont froidement assassinés. Les meurtriers ne sont jamais arrêtés, faute de preuves, d'indices… d'envie ?

Toutefois, Karan et Ashmi ont plus en commun qu'il n'y paraît. Tous deux sont en quête de leur identité. Lui se sent comme un étranger dans son pays natal. Elle, se sent rejetée par sa communauté, par sa propre famille. Tout est remis en question et ils cherchent tous deux leur place en ce monde. Tout ceci – leur soif de justice, leurs faiblesses, leur détermination… – fait d'eux des personnages extrêmement attachants et touchants. Ashmi ayant osé s'attaquer dans un article au droit de propriété exclusivement masculin est menacée et Karan l'envoie suivre une trek dans l'Himalaya, c'est l'occasion pour l'auteure de dénoncer avec vigueur les méfaits du tourisme himalayen, Ashmi échappera à une avalanche mais pas aux "ombres" mandatées par ceux qui veulent la faire taire.

Bernadette Pécassou, avec une belle plume et des mots bien choisis, nous offre ici un récit poignant et vibrant de réalisme. S'inspirant de faits réels, ce roman dénonce une triste réalité tout en permettant une découverte inouïe du Népal et de sa culture, sans laisser de côté les facettes les moins reluisantes et les plus méconnues.

 

Bernadette Pécassou - Sous le toit du monde- 310 pages - octobre 2013 - Flammarion - 20 euros existe en poche J'ai lu