Je n'aurai sans doute jamais lu ce livre sans tout ce qui a été écrit sur l'affaire Gabriel Matzneff dans la presse ce qui a suscité un besoin de se faire une opinion personnelle et je ne regrette absolument pas d'avoir entrepris cette démarche.
Les premières pensées qui montent en refermant l'ouvrage sont un immense dégoût sur certaines tendances de la nature humaine, l'incompréhension sur l'aveuglement qu'on peut avoir devant ce qu'on appelle des "personnalités", l'admiration du courage qu'il faut pour se replonger dans ce qui fut un fort traumatisme, l'analyser, trouver les mots pour décrire sans haine et mettre en perspective.
L'ouvrage est conçu en 6 chapitres qui montrent par leur titre même, la progression du processus d'emprise qu'a exercé sur Vanessa (V. dans l'ouvrage) Gabriel Matzneff celui qu'elle appelle
G.
Effectivement, contrairement à d'autres affaires il n'y a pas viol car la relation est "consentie" par V. (mais peut-on penser raisonnablement qu'à 14 ans on peut donner un consentement
éclairé ?). L'ouvrage décrit donc la description d'un processus d'alienation qui conduit à une relation pédophile compte tenu de l'âge de V.
« 1- L'enfant » présente les prémices : V. est l'enfant d'un couple qui se déchire "un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et surtout un immense besoin d'être regardée." La faille est là par laquelle G. va pouvoir s'insinuer.
« 2- La proie » évoque lors de diners, la rencontre de V. avec G. un écrivain, "Et par vénération avec l'écrivain avec un grand E, je confonds dès lors l'homme et son statut d'artiste". Les débuts de leur relation épistolaire la fait mordre à l'hameçon et provoquent les premières
rencontres où l'admiration qu'un tel homme puisse la regarder et la toucher se confond avec l'amour. La mère est assez vite au courant et comble du surréalisme, elle accepte la situation de sa fille de quatorze ans dans le lit d'un homme de cinquante.
« 3- L'emprise » sur la prédation psychique. Lorsqu'on fait à V. des remarques accusatrices elle pense : "Comment pourrait-il être mauvais puisqu'il est celui que j'aime ... Grâce à lui j'existe enfin." Emprise qui se fait de plus en plus forte car G. à la suite d'une dénonciation encourage V. et sa mère à couper tous liens avec leur entourage. On y apprend aussi comment G. publie ses ouvrages en relatant ses expériences sexuelles avec des jeunes, filles ou garçons en France ou aux Philippines, livres d'ailleurs encensés par la critique et au succès assuré.
« 4- La déprise » sur un début de rupture à 15 ans car V. a vu G. embrasser une autre très jeune fille et s'interroge "Ce n'est pas mon attirance à moi qu'il fallait interroger, mais la sienne". "Ce désir pour moi était infiniment redondant et d'une triste banalité, il relevait de la névrose, d'une forme d'addiction incontrolée". V. cherche donc à échapper à G. qui alors se met à écrire sur elle et en fait un portrait de petite fille instable rongée par la jalousie ce qui va provoquer son effondrement et un début de folie.
« 5 - L'empreinte » V. a quitté G. et essaie d'avoir une relation normale mais difficile avec un jeune de son âge, Youri. Elle s'interroge sur G. : "Ce qui caractérise les prédateurs sexuels en général et les pédocriminels en particulier, c'est bien le déni de la gravité de leurs actes. Ils ont coutume de se présenter comme des victimes (séduites par un enfant ou une femme aguicheuse), soit comme des bienfaiteurs (qui n'ont fait que du bien à leur victime)." Elle vit de plus en plus mal les succès littéraires de G. et enchaine les difficultés, anorexie, épisode psychotique et les rapports sexuels avec des hommes sont difficiles.
« 6 - Écrire » Le temps a passé et V. finit par travailler dans une maison d'édition celle qui a publié un essai de G. "Les Moins de seize ans", il continue à l'abreuver de lettres aussi se décide t'elle à écrire "car écrire c'était redevenir le sujet de ma propre histoire. Une histoire qui m'avait été confisquée depuis trop longtemps." Le livre de Vanessa Springora s'inscrit donc en contrepoint de cette vie de V. que G. a étalée et décortiquée dans ses écrits depuis des années.
Dommage qu'il ait fallu tant de temps pour que la parole ne se libère, car personne ne peut être au-dessus des lois en matière de pédophilie et rien ne peut justifier pareils actes, ni la complicité active ou passive, du milieu littéraire au sens large.
Un livre à lire absolument notamment par les mères et pères d'adolescentes et à faire lire.
Vanessa Springora - Le consentement - Grasset (mais lu sur la Kindle) - 208pages